Laurent Phenis, plus connu sous son nom de scène Bambouman, est un musicien à part, un métis enraciné entre Paris et la Martinique. Dès l’enfance, il baigne dans un univers sonore riche : chez lui, le jazz et le blues résonnent comme une langue maternelle. Fils d’une mère du nord de la France et d’un père martiniquais, il hérite sans le savoir de repères symboliques profonds — comme ces masques africains accrochés aux murs de l’appartement de son enfance à Aubervilliers, qui deviendront bien plus tard des personnages à part entière de ses performances scéniques.

Car être martiniquais, c’est porter en soi une multiplicité d’histoires, de rythmes et de métissages.
Chaque année, Laurent retourne sur l’île de son père pour rendre visite à sa grand-mère. Là-bas, la musique est partout. Ce sont d’abord les tambours qui captent son attention : leur vibration résonne en lui comme un appel. Il sait déjà qu’il sera musicien. D’abord percussionniste, il se forme à la batterie, rejoint des groupes de rock dans l’Hexagone et entame sa première tournée en France avec le groupe « Griffe divine ».
« En 1991, j’ai décidé de m’installer en Martinique. L’île m’appelait depuis longtemps. J’ai d’abord vécu chez mon père, puis un conflit nous a séparés. J’ai connu la rue », confie-t-il. Son parcours le mène vers un autre monde : celui du mouvement Rastafari, alors en pleine effervescence dans les années 1990, après des décennies d’invisibilisation et de répression. Il passe plusieurs mois dans un ghetto en pleine nature au Lamentin, aux côtés d’amis Rastafari. Sans eau, sans électricité, mais avec une richesse humaine et musicale immense.

« J’ai été accueilli avec beaucoup de respect. J’ai découvert une communauté solidaire, où l’on partageait tout : la nourriture, les idées… et surtout, la musique. »
Animé par une quête de sens et d’authenticité, Laurent choisit ensuite de vivre plus en retrait encore dans le sud de l’île. Une immersion totale dans la nature, qui deviendra le terreau de son expression artistique. En effet, c’est au cœur de la forêt tropicale, lors d’une marche solitaire, que tout bascule. Face à un bosquet de bambous, une évidence s’impose à lui : « Voilà ce que tu es venu trouver. » Cette découverte devient fondatrice. Laurent se met à récolter le bambou, à l’écouter, à en façonner les formes et les sons. Très vite, il commence à créer ses propres instruments – d’abord simples, puis de plus en plus ingénieux. Le bambou devient matière vivante, langage, outil de création.
« Cela résonnait en moi, m’évoquait la terre, ses couleurs, l’énergie amérindienne. »
Au fil du temps, il développe un univers sonore unique : plus d’une centaine d’instruments à cordes, à vent, à percussion. Ce monde organique, il le baptise Bamboumuzik. Plus qu’un ensemble d’objets, c’est un art de vivre, un manifeste. « Pour moi, la Bamboumuzik représente l’héritage Caraïbe, qui n’est pas suffisamment mis en lumière dans la société martiniquaise contemporaine. J’ai le sentiment que quelque chose m’a été transmis. »

Jouer ces instruments en pleine nature révèle une magie particulière : « Il y a une résonance. Le son n’est pas seulement acoustique, il est énergétique. Avec le ti bwa galactik [ndlr : l’équivalent d’un ti-bwa en bambou] par exemple, j’ai parfois l’impression de faire du morse avec la forêt, de dialoguer avec elle. » Sa musique est aussi une passerelle entre les mondes : « Pour moi, il n’y a pas de frontières sur Terre. Ma musique est multiethnique, sans limite : on y trouve des influences amérindiennes, aborigènes, africaines, asiatiques, européennes… Et bien sûr, elle reste profondément ancrée dans mes racines martiniquaises, à travers les vibrations Caraïbe-Kalinago.»
Autodidacte, Laurent s’est formé seul, à l’écoute de son intuition. Même les quelques mots Arawak qu’il utilise dans son œuvre, il les a intégrés à travers son propre cheminement, hors des cadres scolaires. Cette liberté nourrit aussi son engagement. A travers son association Kamoata, qui signifie bambou en Arawak, il intervient dans les écoles, propose des ateliers de fabrication et de pratique instrumentale, travaille autour du chant et de la transmission sensorielle. Laurent associe également son art à la pratique du yoga, qu’il accompagne musicalement lors de retraites en Martinique et en France hexagonale.

Créateur infatigable, il compose également pour le théâtre, la danse et le cinéma. « Il n’y a pas un seul jour où je ne joue pas de la musique. Chaque fois que je touche un instrument, il se passe quelque chose. Je m’enregistre toujours et quand une séquence me touche, je la reprends, je l’approfondis. C’est une forme de recentrage, de méditation. »
En 2017, l’Alliance française du Pérou l’invite pour une tournée à travers le pays. Il joue ensuite au Ghana, en Hongrie, en Colombie. Il nous fera l’honneur d’un nouveau spectacle à l’Atrium de Fort-de-France, le 30 mai 2025.