La réinsertion socio-professionnelle contre le système prostitueur martiniquais

Lutte contre les discriminations et promotion de l’égalité

Depuis les années 90 on observe une féminisation de la migration dans la région Caraïbe. De plus en plus de femmes, avec ou sans enfants, traversent les frontières pour atteindre la Martinique en espérant y trouver de meilleurs lendemains. Les arrivées sont difficiles. Elles se retrouvent isolées, sans ressource et vulnérables. La prostitution paraît alors être le seul moyen pour survivre. Le Mouvement du Nid, association reconnue d’utilité publique agissant en soutien aux personnes prostituées, se rend directement dans les rues du quartier des Terres Sainville à Fort-de-France, où les femmes exercent. L’objectif est de les informer de l’accompagnement que peut leur apporter l’antenne. Aux côtés de la Croix Rouge française (CRf), le Nid propose également des voies de sorties de la prostitution à travers des Parcours agréés d’Etat visant à la réinsertion socio-professionnelle. Une articulation entre l’Etat, la CRf et le Mouvement du Nid unique en France, qui vise à fournir des alternatives à la prostitution à des femmes qui s’interdisent de rêver à une vie sans violence.

Photo : Inès ARAMBURO

Petite île française au centre de l’arc caribéen, la Martinique compte 369 000 habitants (INSEE 2018) dont 9238 immigrés et 7628 étrangers (INSEE 2019). Elle est caractérisée par une immigration légale ou clandestine de proximité.

La quasi-totalité des victimes de la prostitution en Martinique est étrangère et plus des trois quarts viennent de République Dominicaine. Au cours des 10 dernières années, de nouvelles vagues de migration ont été constatées en provenance du Venezuela (12%), d’Haïti (4%), de Colombie (3%) et d’autres territoires d’Outre-mer (3%). Les parcours de migration diffèrent mais sont souvent issus de flux organisés ou de trafic humain, qui sont synonymes de violence et engendrent des traumatismes en plus de ceux liés au fait d’avoir quitté de force sa terre natale et ses proches.

Les causes du départ convergent cependant. Pour beaucoup, ce sont des situations de pauvreté extrême qui poussent au départ, mais aussi des niveaux de violence et de délinquance insoutenables. Les îles françaises attirent parce qu’elles sont réputées comme étant plus riches et plus sûres. La majorité des femmes pensent en effet pouvoir trouver un travail en Martinique. Le plus souvent, elles se retrouvent dans une situation de grande précarité. Certaines sont mises en esclavage ou sur le trottoir dès les premiers jours, parfois poussés par leur entourage. La barrière de la langue, les différences culturelles ainsi que la monoparentalité sont un frein à l’intégration et sources de discrimination. Ces femmes sont pour la plupart peu éduquées et se retrouvent rapidement dans une impasse.

Le cheminement vers la prostitution de survie

Dans les rues de Fort-de-France résonnent des refrains en espagnol. On chante, on danse, on parle fort à travers la communauté de femmes, majoritairement hispanophones, qui s’alignent chaque soir le long des trottoirs. Assises sur des tabourets en plastique, téléphone en main, elles attendent chaque soir que la nuit passe plus vite. Les habitations alentours sont insalubres, gérées par des marchands de sommeil. Nous sommes au cœur du quartier des Terres Sainville, non loin du centre-ville et de la mairie de Fort-de-France mais à l’abri des regards, là où l’abolitionnisme ne semble toujours pas être à l’ordre du jour, malgré ce qu’en dit la loi.  

Andrea, 26 ans, Colombienne raconte : « Quand je suis arrivée en Martinique, j’ai d’abord été chez une amie de famille. Elle a fini par me dire de partir. Je suis restée plusieurs semaines à mendier dans la rue, je n’avais nulle part où dormir, je n’avais rien. J’ai fini par me rendre aux Terres Sainville. Je voyais chaque jour des femmes se prostituer et je savais que j’allais connaître leur douleur. Celle d’être avec des hommes que l’on ne désire pas, dans un milieu où il est facile de tomber dans la drogue… »

Andrea est venue seule en Martinique. Comme beaucoup d’autres femmes mères-célibataires, la prostitution est un moyen pour nourrir ses enfants restés au pays. Sur les fonds d’écrans aperçus dans le noir, des bébés, des enfants en bas âge, qui sont souvent le cap, la lumière dans le tunnel pour continuer à avancer. Les Martiniquais stigmatisent ces femmes migrantes et ne leur donnent pas, ou peu, d’opportunités de s’intégrer, que ce soit par le travail ou socialement.

Alors c’est la rue qui leur tend les bras. Il n’y a pas de mafia structurée en Martinique, mais davantage une structure pyramidale avec des règles, des chefs ou des familles associées qui gèrent certaines femmes, qui travaillent elles-mêmes en équipe. Il existe cependant une majorité d’indépendantes, qui se prostituent ponctuellement pour répondre à des besoins de première nécessité lorsqu’elles n’ont plus d’autres solutions.

La priorité pour ces femmes est de répondre à leurs besoins primaires. Ce n’est qu’après cela que les moyens de sortie de la prostitution sont envisagés.

Le Mouvement du nid, une main tendue dans la rue

Le Mouvement du Nid apparaît comme étant le premier point de contact des femmes victimes de la prostitution avec une institution officielle sur le territoire. Fortement ancrée dans son écosystème, l’association accueille de façon inconditionnelle les femmes ayant besoin d’une aide au sein du Trois-Lieu, l’antenne du Mouvement du Nid de Fort-de-France. La dizaine de bénévoles de l’antenne réalise un travail « d’aller-vers » aux Terres Sainville pour parler des activités proposées et de la possibilité de s’engager dans des Parcours de Sortie de la Prostitution (PSP). Ce travail s’est doublé du bouche-à-oreille dans le quartier qui a fait de l’association un véritable point de repère pour les femmes en situation précaire.

C’est grâce à une amie que Natalia, 48 ans, Vénézuélienne, a entendu parler du Nid pour la première fois : « Je voyais des femmes autour de moi qui se consumaient petit à petit par la drogue et par cette vie. Il fallait que je trouve une porte de sortie, le Nid m’a semblé être une opportunité à saisir le plus vite possible. »

Laviania Ruscigni, responsable de l’antenne de FDF du Mouvement du Nid / Photo : Inès ARAMBURO

Lavinia Ruscigni, Responsable du Mouvement du Nid Martinique est celle qui a créé l’antenne de Fort-de-France en mars 2017. Elle explique : « La prostitution abime et les blessures sont indélébiles. Quand ces femmes me racontent leur parcours, il est impossible de mettre des barrières. En tant que femme, leur histoire est la mienne. » Un processus a été établi. Un premier rendez-vous est organisé avec les éducatrices de l’antenne afin de cerner les besoins les plus urgents auxquels il faut répondre. Les femmes sont invitées à se confier sur leur parcours afin de mieux comprendre d’où elles viennent. Le travail de l’association consiste ensuite à faire du suivi à différents niveaux via la prise de rendez-vous avec Pôle Emploi ou l’appui dans les démarches administratives et juridiques. Le Nid propose également des cours de français en quatre niveaux, un suivi médical et psychologique ou encore de la formation professionnelle via des cours de couture.

Si ce que propose l’antenne du Mouvement du Nid vise in fine la sortie de toute activité prostitutionnelle, elle n’impose pas comme préalable à l’accompagnement un arrêt de toute activité de ce type. Les femmes suivies qui sont en demande de sortie de la prostitution, suffisamment motivées et réfléchies, peuvent cependant être redirigées vers la CRf pour intégrer PSP.

Un dispositif étatique à visée abolitionniste : le Parcours de Sortie de la Prostitution

Photo : Inès ARAMBURO

Dispositif légal avec agrément préfectoral donné exclusivement à la CRf en Martinique, le PSP vise à mettre en œuvre la loi de 2016. Cet ajout au cadre législatif français a consolidé la position abolitionniste de l’Etat français en renforçant la lutte contre le système prostitueur et en accompagnant les victimes.

En réponse au décret issu de la loi de 2016, une Commission départementale de lutte contre la prostitution, le proxénétisme et la traite des êtres humains aux fins d’exploitation sexuelle a été mise en place en Martinique depuis 2017. Elle est composée de plusieurs organismes tels que la gendarmerie, la Police aux Frontières, la préfecture, l’Agence Régionale de Santé, la mairie de Fort-de-France, la CAF ou encore les associations féministes de l’île telles qu’Union Femmes Martinique, Culture égalité et le Mouvement du Nid.

La Commission évalue 4 fois par an les nouveaux dossiers de femmes souhaitant intégrées le PSP. En Martinique, 100% des dossiers présentés sont acceptés. L’entrée dans le Parcours fait l’objet d’une autorisation délivrée par le préfet pour 6 mois, renouvelable dans la limite de 2 ans.

Chaque personne engagée dans le Parcours est accompagnée individuellement par une éducatrice spécialisée. Elle a pour mission de coordonner l’ensemble des actions d’accompagnement à travers différents entretiens. Une conseillère en économie sociale et familiale (CESF) intervient également auprès de l’ensemble des personnes accompagnées concernant les démarches administratives (Impôts, CAF, CGSS…) et certaines démarches relatives au logement.

Lorsqu’une personne est acceptée dans le Parcours, une partie importante de l’accompagnement consiste à lui permettre d’accéder à l’ensemble de ses droits et à l’accompagner dans les démarches pour y parvenir. Aussi, lorsque les personnes en situation irrégulière intègrent le Parcours, elles bénéficient d’une autorisation provisoire de séjour, d’une aide financière à l’insertion sociale (AFIS), ainsi que d’une Allocation Logement Temporaire afin d’éloigner les victimes des lieux de prostitution ou de pallier une rupture d’hébergement. Le PSP offre vise également à faciliter l’accès aux soins.

Au-delà de la réponse aux besoins primaires, l’accompagnement psycho-social est primordial afin de permettre aux femmes dans le Parcours de reprendre confiance en elles et de s’intégrer socialement. L’idée est de construire un projet de vie au-delà d’un projet professionnel. La philosophie est la même qu’au Trois-Lieu, qui travaille de façon très rapprochée avec la CRf. En effet, en 2022, 55% des femmes reçues dans le cadre du PSP en Martinique ont été orientées par le Mouvement du Nid. Louis-Paul Koumba Boutin, Responsable du Pôle Action Sociale de la Croix Rouge française en Martinique, en est bien conscient : « Le PSP a été mis en place en Martinique sous l’impulsion de la Direction Régionale aux Droits des Femmes et à l’Egalité (DRDFE). Cependant, c’est quelque chose que l’on a construit collégialement avec tous les acteurs impliqués dans le Parcours. L’articulation mise en place entre la Croix Rouge et le Mouvement du Nid en Martinique est unique en France, c’est du jamais vu. »

La prostitution est une violence qui fait des ravages psychologiques chez les personnes qui y sont confrontées. Pour la plupart d’entre elles, la sortie définitive de cette activité exige une prise en charge psychologique importante et un accompagnement à l’insertion sociale, en complément du travail mené de réinsertion professionnelle visant à construire un nouveau modèle économique pour des femmes ayant vécu des revenus de la prostitution. Il est essentiel que ces femmes puissent se construire de nouveaux repères, un nouveau réseau de conseil et de soutien hors du secteur de la prostitution. L’objectif reste de raccrocher ces femmes avec une réalité et d’autres perspectives que les rues des Terres-Sainville. Depuis 2017, 35 personnes dont 34 femmes se sont engagées dans le PSP. Entre 100 et 120 femmes ont été accompagnées par le Mouvement du Nid. La majorité réussissent à avoir une sortie positive – un emploi ou une formation rémunérée – comme ce fut le cas pour Miguelina, 31 ans, Dominicaine : « J’ai suivi le Parcours pendant deux ans. Il y a eu des moments difficiles, où je n’y croyais plus, où je ne pensais pas réussir à m’en sortir. Aujourd’hui je travaille comme femme de ménage dans un hôtel et je me sens enfin libre. »

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  1. Des articles bien documentés, clairs et d’un intérêt primordial qui méritent d’être publiés en métropole

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